lundi 18 novembre 2013

Un peu de culture dans votre confiture : édition école du Louvre (2)

Le livre médiéval

Nous quittons maintenant le domaine monumental pour aller dans un domaine plus réduit et plus rare.
Nous nous dispenserons malheureusement d'une chronologie du style des enluminure par manque de temps.

Commençons par l'aspect matériel du livre 

A l'époque médiévale tous les livres étaient copiés et enluminés à la main, je tiens à rappeler que l'imprimerie n'a été inventé qu'au XVe - ceci dit les premiers livres imprimés sont toujours enluminés à la main.

Bref, cette création nécessite donc une main d'oeuvre qualifiée et spécialisée, ce qui coûte très cher et qui fait que le produit est assez rare.

Format 

Le format du codex est de mise , c'est à dire des feuillets assemblés en cahiers. Le codex est utilisé depuis la fin de l'antiquité et coexistait avec le rouleau (ou volumène) qui finira par disparaître au profit du codex pour plusieurs raisons.
  •  Il y a une facilitation de la lecture - on peut ouvrir à la page que l'on souhaite contrairement au volumène.
  • Il procure une plus grande surface de texte ( on utilise le recto et le verso du parchemin , ce qui n'est pas le cas sur les rouleaux). Ce qui est appréciable quand le support coûte très cher.
  • Le texte et les images sont très bien conservés une fois fermés, alors que les images finissent par se déformer à force de dérouler les rouleaux.
  • Le codex permet une nouvelle attitude intellectuelle.
    - création de la mise en page
    - on peut prendre des notes tout en lisant (essayez avec un rouleau, c'est plus galère)
On utilise le Folio , on relie ensuite les folio en cahiers, puis on les couds entre eux. On protège l'ouvrage avec une reliure.(on rajoute parfois des aies en bois pour ne pas qu'il se déforme.)
ex: plat de reliure



Le support matériel

Le parchemin ou "peau de pergame" (viendrait du fait que le roi  de pergame était en conflit avec les égyptiens qui avaient le monopole du papyrus. Il aurait donc trouvé une solution -> la peau de ses moutons.)
Mais il ne s'agit pas que de mouton , mais aussi de veaux, chevreaux. La peau la plus recherché était le velun , soit la peau d'animal mort-né qui était plus blanc, donc plus beau.

=> Réaliser un live requiert donc l’abattage d’énormément d'animaux ce qui explique la rareté. L'évangile de Kells par exemple a nécessite 185 veaux.



Processus de fabrication

Ecriture :
·         Toujours avant l’enluminure, entièrement.
Opération de mise en page / calibrage = La réglure
On calibre la hauteur des caractères et des marges en traçant des lignes à la pointe sèche

·       -  Le copiste ne touche jamais le parchemin, il risque de le graisser, il écrit à main levé
·      -   Matériel d’écriture : le calame (roseau taillé) remplacé progressivement par une plume
  L’encre :
·         relativement facile à fabriquer.
-encre à base d’os calciné
-Utilisation de la gale de chêne + gomme arabique (boulette de sève durcie) + eau + oxyde de cuivre = encre indélébile.
  Palimpseste :
·         Au vu du prix du parchemin  (très élevé) on cherche à réutiliser les matériaux.
·         On réutilise certain parchemin en le grattant, allant jusqu’à 4 fois. -> Extrêmement courant.
       Décoration:
     Les initiales ornées :
Un des décors les plus abondant. Une initiale qui reçoit un décor de feuillage etc...
Mais ne représente rien de particulier

       Les initiales figurées :


Lorsque les éléments constitutifs de la lettre initiale sont faits par des personnages.
          Les initiales historiées :
Scène de genre (petit tableau)  contenu dans l’initial
ex : chansonnier dit de Montpellier, XIIIe

Les miniatures :
Une partie du décor enluminé qui n’est pas attaché à l’initiale, et qui représente une scène cohérente.
Ex : Plaute, amphitryon et assinaria vers 1469

Puis de réelles illustrations sur toute la surface d'un folio
La peinture est au départ un simple accompagnement du texte puis progressivement prend de plus en plus de place. Il y a une émancipation de  la décoration.


La phase ultime est donc la mise en couleur. On utilisait beaucoup de pigment , et on le faisait en plusieurs étapes.

1) Les contours à l'encre noire
2) Les fonds (par exemple en feuille d'or)
3) Les couleurs les plus claires
4) Les teintes les plus saturées
5) On repasse les contours à l'encre noire
6) On ajoute des rehauts de blanc

Il faut savoir qu'un page peut mettre jusqu'à 1 mois ( et un manuscrit peut comporter 300 folios)

Les pigments

noir: résidu de matière calcinée
vert: de la malachite ou du vert de gris
or: feuille d'or ou sulfure d'arsenic (donc oui , ça craint de lécher ses doigts après comme dans le nom de la rose)
bleu : azurite ou lapis lazuli
rouge: insectes broyés , racine de garance.

Quand on voit tous ces éléments on peut comprendre la fierté de l'enlumineur, du coup on retrouve parfois des petits clin d’œils dans le colophon (je m'en excuse je n'ai pas retrouvé le texte)

Mais... Qui sont ces artistes?

Pendant le Moyen Age , il y a un monopole des moines qui réalisaient ces manuscrits dans des scriptoria ( un scriptorium), on ne sait pas bien à quoi ceux ci ressemblaient , puis-qu’aucun mobilier n'a été retrouvé.
Puis il y a un sécularisation des copistes, on finit par confier la réalisation des livres à de simples laics.

Ceci s'explique par l’essor des universités au XIIIe, ce qui augmente la demande de livre et requiert une production de masse. Cela n'est donc plus concentré dans les monastères , mais dans les villes près des universités. Il arrive même que des femmes s'en occuper.


(ex: Roman de la rose : BNF - c'est une femme à droite)



Commandes, spiritualité et décor

Pendant le haut Moyen age (Ve-XIe), les livres étaient réservés au Clergé et les Hautes sphères.

Pour le clergé:
- Quelques bibles (mais très peu car c'est un énorme livre)
- Des psautiers (recueil de psaumes)
- Recueil des Évangiles
- Livres liturgique (ceux qui permettent la célébration des offices)
           ex: Évangéliaire (de durrow)

           ex: Sacramentaire (tous les textes des rites)
           ex: Ordinaires (où tout est codifié, routes de pèlerinage...)
           ex: Livres de chants


Mais il y avait aussi des traités sur les écritures saintes ou des copies de littératures antiques

Pour les rois il y avait principalement des bibles. (Par exemple la Bible de Charles le Chauve)

Vers le XIIIe siècle , le livre se "démocratise" grâce à l'essor des universités, mais cela reste pour les étudiants qui sont des clerc. (donc ça reste dans le clergé, faut pas déconner.)
Il y a donc l'apparition d'ouvrages demandant une nouvelle mise en page - des ouvrages avec des commentaires d’œuvres-  le commentaire se trouve donc sur la majeure partie de la page, et le texte commenté  sur une toute petite partie.
=> Les copistes en profitent pour s'amuser en ajoutant dans les marges la représentation de l'auteur commenté qui s'indigne.

Du XIIIe au XVe siècle

Il y a une montée en puissance des laïcs dans la commande , notamment l'aristocratie et la bourgeoisie très aisée. Ce qui amena un nouveau type de livre:
- Les romans ( qui restent chrétiens quand même , comme les vies de saints ou La légende Dorée)
- Les livres de dévotions privé : les livres d'heures.
Ceux ci sont richement décorés et contiennent des prières à réciter à des heures bien précises.

Les plus célèbres sont "Les très riches heures du Duc de Berry" ( celui ci en avait d'ailleurs plusieurs, un vrai petit collectionneur)



On retrouve dans ces Heures des décors sur deux pages entières, celles ci sont finalement annonciatrices des futurs diptyque.

jeudi 7 novembre 2013

Un peu de confiture dans votre culture : édition école du Louvre (1)

J'assiste en ce moment à un cycle de conférence de l'école du Louvre à Quimper sur le Moyen Âge. Afin que ça me serve un peu j'ai décidé de réécrire mes notes , et pour les personnes qui ne peuvent pas venir ce sera une compensation (certes ça ne vaudra pas la conférence en réel , mais bon!)

Quelques aspects de la vie au Moyen Âge

La cathédrale : chantier et bâtisseurs 

Quelques petits rappels de Terminologie 

La cathédrale dans les idées se résume souvent à "grande" et "gothique".
Une cathédrale n’est pas par nature gothique , il s'agit juste de l'église d'un évêque (il y a une cathédrale par évêché) où il a sa chaire.
On trouve donc des cathédrale dès le début de l'ère chrétienne ( le IVe siècle)
Quelques exemples : St Jean de Latran 315 ap JC - Cathédrale Paléochrétienne
Angoulême - Cathédrale Romane
Evry - donc jusqu'à nos jours


Et la cathédrale n'est pas forcement grande , tout dépend des moyens de l’Évêché. Et lors du passage à la cathédrale gothique , on reconstruisait petit à petit , mais nous verrons ça plus tard.

Beauvais , a moitié finie
Mais bon, restons en au gothique , ces cathédrales gothiques sont des monstres de monumentalité, une course à la grandeur s'organise et le grand gagnant en France fut Beauvais avec 46m de hauteur sous voûte ( vous pouvez y glisser un immeuble de 15 étages). Mais c'est Cologne qui le remporte en Europe avec 48m.

beauvais
En hauteur totale , Strasbourg restera la plus haute cathédrale jusqu'au XIXe siècle avec ses 142m de haut.

Quand on voit ces monstres de pierres on ne peux s’empêcher d'être stupéfait devant l'audace et la technique de ces construction. On se demande comment cela a t'il été construit., avec quels techniques , quelle logistique , et par qui?

Je pense qu'il est bon de rappeler qu'un certain intérêt pour le Moyen âge apparaît au XIXe , notamment lors des restaurations des bâtiments (par exemple : Violet le Duc)
Puis la sociologie arrive dans l'histoire de l'art, ce qui fait que l'on va commencer à s’intéresser aux bâtisseurs


I- Le Chantier 

La question des fondations

Pour qu'un édifice tienne, il faut avant tout que les fondations soient construites comme il le faut. On s'y intéressé très peu quand on va dans un église (on est plus occupé à regarder ce qui dépasse du sol). Violet le Duc fera des sondages sous la cathédrale d'Amiens (je ne trouve pas le foutu dessin alors imaginez)
-> Chaque pilier est construit sur des fondations en gradins ( elle s'élargissement en s'enfonçant) très profondes. Environ sur 5m de profondeur puis on trouvait encore 3m de pierres en dessous.

Imaginez un peu le travail , la cathédrale mesure 145m de long et il a fallut excaver ce sol sur 8m de profondeur. ( Tout ceci sans objets mécaniques..)

Et une fois que les fondations sont en place, on élève la maçonnerie.On assemble les pierres qui ont été préalablement taillées à la main pendant l'hiver. (on ne travaille que pendant la belle saison)
On utilise certains outils comme le fils à plomb ou des cordages tendus pour faire un balisage.

représentation vitrail de la cathédrale de Chartres 

Heureusement les opérations sont facilitées par :
- Une "standardisation" de la taille des pierres : on utilise des gabarits dès le XIIIe
- Pour les endroits plus délicats comme la voûte qui engendre des poussées on utilise la technique du tas de charge - j'ai pas tout bien compris alors google it !- 
- On met la charpente avant la voûte de sorte que l'on puisse travailler par mauvais temps.

cathédrale de soisson - restauration

On utilise un cintre pour les voûtes :
- On met en place les ogives sur le cintre , puis le reste de la voûte. 
- On retire le cintre une fois le mortier sec:  c'est une opération délicate car si la voûte n'est pas stable elle vous tombe dessus. De plus le mortier était à la chaux grasse et avait une prise très lente.

Il reste ensuite les travaux de finition:
- réseaux en pierre dans les fenêtres
- Vitraux
- Peintures murales
Violet le Duc
- Dédicace : la mise en service du bâtiment

Ces bâtiments requièrent donc beaucoup de délicatesse ( voir éclatement de Violet le duc à Dijon) , de soin et de préparation.
Villard de Honnecourt
D'ailleurs le dessin d'architecture apparaît à cette époque (voir carnet de Villard de Honnecourt)
=> Ceci témoigne de la haute sophistication des chantiers puis que des travaux d'architecture nécessitent maintenant des dessins préparatoires.



Représentation

Le chantier en lui même est souvent représenté (surtout dans l'épisode de la tour de Babel , scène de construction par excellence)

Jean Fouquet

- la roue : permet d'augmenter la force de levage , on en retrouve parfois sous la charpente
- la grue , on en a une photo (cathédrale de Cologne) 
- les échafaudages s'encastraient dans la maçonnerie et non pas depuis le sol  (cela coûterais trop cher en bois) On utilisais des trous de boulin (parfois rebouchés parfois non) 
=> Mais les échafaudages du Moyen Age ne sont pas toujours très surs , par exemple l'archevêque de Canterburry est tombé avec l'échafaudage lors d'une visite de chantier.


Au delà du chantier : les préparatifs

La ville doit préparer l'espace nécessaire pour la cathédrale dans une ville dense. L'emplacement est bien sur réservé par les anciennes cathédrales , mais parfois il faut s'agrandir. Du coup on franchis les limites de la ville / des remparts.Le soucis est que derrière les remparts il y a une pente. On s'organise alors pour combler en mettant une crypte.

L'évêque peut également racheter les maisons qui sont à côté ( de l'expropriation quoi) - ce qui ne marche pas toujours, on a des exemples de procès intenté à l'évêque , ce qui ralentissait les travaux.

Parfois , on profite du chantier pour remodeler l'urbanisme , par exemple pour notre Dame de Paris on a un réaménagement du parvis et le perçage d'une rue dans l'axe du portail afin que la façade soit rendue visible.
=> on reconstruit tout le quartier en fonction de la cathédrale.

La programmation des travaux

Une fois ces préparatifs mis en place, il faut programmer les travaux. En effet il ne faut pas interrompre le culte, on ne peux pas se contenter de raser l'ancienne cathédrale et d'en reconstruire une. Alors on construit autour de l'ancienne construction (par enveloppement et petit bout par petit bout) 
On construit d'abord le chevet, puis la façade et enfin on raccorde les deux.
Le financement des travaux

Mais pour que de tels travaux puissent avoir lieu , il faut des sous. Hors les banques n'existaient pas au Moyen Age (avant le XVe) on utilise donc différents moyens.

- Contribution de l'évêque: il doit donner 1/4 de ses revenus pour l'entretient de la cathédrale (mais ce n'est pas respecté) 
- La chapitre des chanoines : les plus gros des revenus
- Dons / troncs / dons des confréries

Mais tout ceci ne suffit pas, il faut toujours demander plus au fidèles mais lorsque le chantier dure un peu trop longtemps ils perdent un peu "d'ardeur"... Du coup quelques solutions ont étés trouvées:
- La découverte miraculeuse de reliques extraordinaires. A Notre Dame de paris, juste au moment où les caisses étaient vides , on découvre des cheveux de la vierge , dents de St Jean Baptiste , Crane de St Denis (censé se trouver à St Denis logiquement..)..etc...
-> Ceci ranime l'ardeur des fidèle = plein de sous!

- on utilise des bulles d'indulgence : En bref, paye ton salut. ( Ce que Luther critiquera plus tard)

Vu que les rentrées d'argent ne sont pas toujours régulières la construction avance par petits bouts , cela explique que l'on construise par tranches verticale non pas horizontale (c'est toujours mieux d'être avec tout un chevet, plutôt qu'avoir toute une église sans voûte.)
Et cela explique aussi l'hétérogénéité des styles entre les différentes parties.

Et quand ya plus de sous du tout ben on stoppe tout.
cathédrale de Quimper pas droite

cathédrale de Beauvais pas finie
 (au moins si la cathédrale de Quimper est pas droite , elle est terminée.)



II - Les acteurs

Il y a des acteurs que l'on ne voit pas comme les commanditaires.
- Il y a l'évêque qui est à l'initiative du projet 
- La fabrique - administrée par des chanoines - est l'organisme qui suit les travaux , elle négocie l'acquisition des terrains, s'occupe de la logistique ( achat des matériaux , salaire des hommes)

Sur les chantiers 

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce sont des petits effectifs puisqu'on a besoin d'une main d'oeuvre qualifiée (et non pas d'une foule comme dans un certain chantier de 3 mois).
On retrouve : le maître d'oeuvre , le contremaître, l'appareilleur , les tailleurs et sculpteurs , les maçons , les "valets du chantiers" , le maître charpentier et le forgeron (qui est bien utile avec tout ces outils en métal.)

L'architecte est souvent anonyme (il sort de cet anonymat à l'époque gothique) , et esy parfois actif sur plusieurs chantiers à la fois ( ça paye mieux). Puis peu à peu , ils finissent par ne plus mettre un pied sur le chantier mais ne font "que" le concevoir - ils collent peu à peu plus à la vision moderne de l'architecte que l'on a.
On va le représenter de plus en plus fréquemment.
pierre tombale d'Hugues Libergier dans l'Église st nicaise

Ici il tient le modèle réduit de la construction dans ses mains, ce qui était réservé au commanditaire auparavant. Et puis on va peu à peu représenter Dieu avec des outils d'architectes à la mains comme signe de créateur suprême.
=> Ceci montre la fierté de cette "nouvelle" profession










Le nom des architectes deviendra plus connu et sera parfois placé sur le sol de la cathédrale , dans des dédales (ex :Reims) ce qui un hommage au plus grand architecte de tous les temps Dédale.



Un autre exemple nous montre bien la promotion de la figure de l'architecte , dans le chevet de l'église de prague. Dans le triforium , deux bustes des deux architectes sont placés à côté du buste de l'empereur et de l'archevêque qui a lancé les travaux.

Bref ils se sentent plus.

Je m'arrêterais ici pour aujourd’hui , nous n'avons pas eu de conclusion puisque la conférence avait légèrement débordé , j'espère que ça vous a plu , et que c'est compréhensible ! Je vous donne rendez vous mercredi/jeudi prochain !